
Fascinantes araignées qui, depuis la nuit des temps, tissent leurs toiles et nous inspirent nos cartes du web. Au Palais de Tokyo et à Berlin, elles ont travaillé pour nous faire comprendre ce que nous leur devons. (Gilles Fumey)
Il y a mille manières d’aborder le travail du plasticien argentin Tomás Saraceno dans l’exposition « On Air » du Palais de Tokyo à Paris, à la croisée de démarches artistiques et scientifiques. En particulier, le travail des araignées présenté ici interroge sur les manières de construire l’espace et ses relations. La trame de la toile d’araignée est donnée à voir dans sa complexité et inspire à l’humain des tentatives de cartographie, plus formelles, plus abstraites, moins ouvertes aux contingences, cartographiant non pas ce qui peut l’être mais ce qui par définition n’est pas repérable dans l’espace physique (des idées, des ondes…).
Le travail des araignées du Palais de Tokyo, qui ont tissé leur toile dans le studio de Saraceno à Berlin, est d’autant plus fascinant qu’ici, les animaux ne sont pas moins acteurs que les humains. Ce sont eux les créateurs. La barrière entre les espèces n’existe plus. Les araignées n’ont pas grand-chose de commun avec les humains : « Leur toile, c’est leur bouche. Et elles sont aveugles et sourdes selon nos critères de perception » pour Tomás Saraceno qui poursuit : « Nous nous demandons : puis-je percevoir quelqu’un qui est sur une toile qui n’est pas la mienne ? Il y a eu des moments dans l’histoire où les humains étaient beaucoup plus reliés aux autres espèces. Quand un tsunami arrive, les fourmis montent dans les montagnes… il suffit d’observer la nature. L’homme a tendance à oublier qu’il fait partie d’un tout ». Dommage que dans l’espace de l’exposition, les araignées aient été absentes le jour de notre visite. On admire les toiles, en absence de celles qui les ont faites. L’exposition nous rapproche des animaux mais continue de leur nier leur agentivité.

La toile des araignées, c’est un système de communication qu’on devine dans l’exposition grâce à des micros qui amplifient le son des grattements. Le dessin des toiles nous renvoie à la géométrie des tissus, des rosaces, des damiers. On se prend à penser qu’Hippodamos à Milet a pu s’inspirer de certaines trames, tout comme les verriers du Moyen-Age ou les dentellières flamandes. Le physicien Stavros Kastanevas va plus loin : « Les réseaux d’araignées se proposent comme des possibilités artistiques de reconstruction du plénum de l’espace, en lui donnant son caractère de milieu sensible, séparé en plusieurs échelles et régions de voisinage ou sociabilité (…). »
Comment l’humain développe des modèles formels inspirés de la nature – les toiles, les fractales, etc. – sans pouvoir les égaler ?

Les réseaux de toiles d’araignées nous aident à comprendre nos concepts, comme on se sert parfois de l’échelle hiérarchique ou des arbres. Ils « mettent en relation non des points géométriques, mais des voisinages, des territorialités » (Katsanevas). Ainsi, on peut imaginer la complexité de la communication se faisant par territorialités de socialités différentes, occupant plusieurs échelles. Une installation (WEB SDR) nous permet de devenir araignées, en pinçant une toile noire dont le son est transmis à des amplis. Non, les humains n’ont pas l’agilité des araignées. Nous n’avons que deux pattes, l’expérience montre qu’il faut des prothèses pour affiner nos relations au niveau des bêtes à huit pattes !
Très géographique, le fil d’Ariane de l’exposition mène naturellement dans l’éther, mais aussi dans l’infiniment petit. Des particules fines ramenées de Bombay (Inde) tiennent lieu de poussière cosmique. Et des images nous plongent dans le film du Grand Nuage de Magellan, galaxie naine avec ses images du passé et leurs 163 000 années de latence. Nous sommes alors prêts pour comprendre les courbures de l’espace-temps. Spider-Maps veut, par ses cartes, être l’utopie réaliste d’anthropocène : l’aérocène où les vols humains sont possibles désormais qu’ils peuvent avoir lieu sans énergie combustible. Comme ces plastiques échoués comme un ballon à plat dans l’espace et dans les mers.
Une exposition époustouflante à voir et revoir.
On Air, Carte blanche à Tomás Saraceno,Palais de Tokyo, 75016. Jusqu’au 6 janvier. Rens. : www.palaisdetokyo.com
Une interview de T. Saraceno par Clémentine Mercier
Merci à Lorenza Mondada pour sa relecture et les photos.
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