Christopher Nolan, habitant du monde

Christopher Nolan, la possibilité d'un monde

«La géographie est au cœur de l’apprentissage des personnages nolaniens.» Page 89 de Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, fin du (faux) suspense : le cinéma de l’auteur d’Inception et Interstellar regorge d’espace. Timothée Gérardin, dans un essai aussi bref que passionnant et facile d’accès, montre comment Nolan travaille, en dix longs métrages, le thème de notre rapport existentiel au monde, de notre «habiter».

Les personnages du cinéma de Nolan «jouent […] les topographes» (p. 88) : ils visitent, mesurent, cartographient les lieux en vue de se les approprier. Dans Memento, Lenny pallie sa mémoire défectueuse en photographiant les lieux et les personnes. Et Bill, le héros de Following, reconstitue mentalement l’itinéraire des inconnus qu’il prend en filature dans les rues de Londres. Cas-limite dans The Dark Night, où Batman succombe à un «délire de contrôle» (p. 90) en mettant en place un système de surveillance de Gotham City qui le rend omniscient : la carte devient le territoire.

Problèmes de perception

Mais derrière ce souci de circonscrire des lieux, et de se circonscrire soi-même à travers ce processus, se dissimule un manque. Les personnages nolaniens vivent des interactions contrariées avec leur environnement. Ils souffrent d’altérations diverses du point de vue, telle la fatigue empêchant Will Dormer, le héros d’Insomnia, de percevoir les détails et les nuances de ce qui l’entoure. Ou telle l’amnésie de Lenny : le personnage de Memento évolue dans un monde sans mémoire et, par conséquent, fragmenté et sans consistance.

Cette absence de cohérence des espaces parcourus empêche toute construction identitaire et condamne Lenny «à errer sans savoir qui il est» (p. 23). Pareil pour la confusion permanente entre rêve et réalité dans Inception : Cobb, le rêveur professionnel, sait-il encore il est, et ainsi qui il est ?

Sans compter que les personnages de Christopher Nolan usent, pour tenter de redonner de la cohérence à leur monde, d’outils prompts à se retourner contre eux. Les objets devraient servir à se raccrocher au réel, à retrouver le contact avec le monde par l’intermédiaire des sens. Mais, dans les faits, les petits totems d’Inception – dont la fameuse toupie de Cobb, au cœur du dernier plan du film – ne donnent accès qu’à une réalité «farouchement incommunicable» (p. 54) : chaque personnage construit son monde, mais échoue à faire émerger une réalité commune, partagée avec ses semblables.

Interstellar
Interstellar (réal. Christopher Nolan, 2014)

Retrouver la terre ferme

Dans ce monde qui se dérobe, les personnages de Nolan font figure de «sédentaires contrariés» (p. 83), à la recherche d’un chez soi garant d’un peu de stabilité – c’est, du point de vue de Cobb, ce vers quoi tend toute l’intrigue d’Inception. Des réveils en apesanteur du Lenny de Memento aux contrées sidérales d’Interstellar, en passant par les mondes flottants d’Inception, le sol n’est jamais très ferme chez Nolan. Son cinéma consiste en une «quête (…) de la gravité» (p. 86) sans cesse renouvelée.

Car habiter le monde, c’est-à-dire se construire dans le même mouvement où l’on construit le monde – selon la définition d’Oliver Lazzarotti –, ne peut se faire autrement que les pieds sur terre.


Timothée Gérardin, Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, Playlist Society, 2021.

Un entretien avec l’auteur.


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