
La période actuelle d’effondrement (oui, effondrement de tout ce que vous voulez) pousse à regarder nos habitats comme des lieux où le monde d’avant s’est confiné. Dans les objets. Dans les conversations. Dans les architectures, aussi. Passage en revue, en attendant les jours meilleurs. (Gilles Fumey)
Grandes ou petites, luxueuses ou sobres, les maisons des humains sont des artefacts qui nous accompagnent depuis des milliers d’années : murs, toit, bois ou tissus, fer ou brique… Tout est orienté vers au moins deux objectifs : se protéger de l’extérieur et trouver son bonheur. Les philosophes triturent cette quête du bonheur pour vivre « mieux », l’essence de chaque maison résidant pour Emanuele Coccia dans cet adverbe. Pour lui, le fondement de chaque maison est moral, non seulement esthétique, ou architectural. Il existe une domestication réciproque entre les choses et les personnes : « Nous érigeons des murs, nous accumulons des choses, nous aimons et prenons soin de nos partenaires et de nos enfants. »
Les géographes sont sensibles à l’espace, sa taille, son volume, sa lumière, sa température, son style architectural, tout ce qui peut être mis en équation avec d’autres lieux qui créent la différence nous aidant à construire notre identité. En cela, la géographie rejoint la philosophie qui aime tant le « disparate » des objets et des personnes. Car le bonheur serait, pour elle, une forme matérielle, une « structure » du monde et pas seulement une figure de la volonté.
Cela étant, « chaque maison est une opération de chirurgie cosmique produisant des poches d’extraterritorialité à l’échelle planétaire ». Comparant nos maisons à des « volcans en éruption », Coccia rappelle que chacune d’entre elles projette une expérience différente. Et nous donne de voyager « dans le temps et l’espace » à la fois. De mesurer que la rupture avec le passé est immense : « Ce ne sont pas les habitants de la planète qui ont changé, c’est la planète elle-même qui a été transformée » par une folle accélération technologique, biologique, climatique et géologique. Dans nos maisons devenues « planètes », nous sommes tous cosmopolites « tout comme de revendiquer une identité locale. »

La maison dilatée aux dimensions de la planète fait exploser toute forme de géographie et toute forme de généalogie. Brent Heavener, un simple éleveur de bétail devenu entrepreneur numérique, ancien habitant du désert des Mojaves (États-Unis), invente les « tiny houses », des cabanes refuges qui le font échapper aux tâches ménagères et aux servitudes du monde moderne. Les voici qui prolifèrent en Nouvelle-Zélande et en Australie, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni. Elles expriment un vieux rêve de fusion avec les éléments, sans oublier le confort qui coupe sans doute d’avec certains éléments comme la température et l’humidité. Mais le rêve est là. Suffira-t-il pour s’échapper du monde ? Peut-on d’ailleurs s’en échapper ?
Emanuele Coccia, Philosophie de la maison. L’espace domestique et le bonheur, Rivages, 2021.
Pour voir plus de photos : TinyHouse
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