
Toits d’immeubles peints en blanc par des bénévoles dans le cadre de l’initiative NYC CoolRoofs, Le Bronx, New York (États-Unis).
Peu « sexy » pour l’opinion publique, le secteur du bâtiment est discret dans le discours écologique mais il est pourtant, avec ses matériaux, ses chantiers et toutes les passoires thermiques qu’il a laissées en héritage, responsable du quart des émissions de gaz à effet de serre. En face, l’aviation ne représente qu’une paille avec 2%.
Philippe Rahm vient de publier une Histoire naturelle de l’architecture. Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville et les bâtiments. Un sujet pas très neuf pour cet architecte suisse, enfin entendu, désormais que la situation écologique urge. Sa thèse de doctorat soutenue récemment à Paris-Saclay est présentée dans une exposition au Pavillon de l’Arsenal et ce livre, donc, passionnant.
Car l’histoire du confort – voire de la recherche du confort – est liée à cette recherche constante d’assurer à notre corps une température constante. D’où les chauffages et les ventilateurs et autres airs conditionnés qui ont suivi les peaux de bête et toute la gamme des tissus, les cabanes, les grottes, les toits, les murs et les fenêtres (plutôt pour le renouvellement de l’air). Une histoire à corréler avec celle de l’hygiénisme car nos intérieurs pullulent de bacilles, microbes et autres polluants appelés gentiment composés organiques volatiles.
Techniques
La longue durée ne faisant pas peur à notre historien, nous voici au Néolithique, contraints à protéger les moissons. Ziggourats, temples, monastères ont été d’abord des entrepôts de stockage sur lesquels veillaient des clergés. Les invasions, les incendies et tous les dangers menaçant ces constructions ont conduit aux fortifications d’échelle domestique ou urbaine par des murs ou des remparts.
La découverte des minerais, la mécanisation liée à l’usage des forces motrices ont décuplé les capacités humaines jusqu’à des niveaux inimaginables, à partir des locomotives et des treuils. Pour Rahm, la découverte des carences liées à l’iode dans les montagnes conduisent les populations à migrer vers les côtes appréciées d’abord des curistes, puis des vacanciers. Vaccins et antibiotiques ont épuré les cloaques urbains pesteux. L’ascenseur et la climatisation ont fait jaillir gratte-ciel et tours, lesquelles furent attaquées un 11 septembre au seuil du 3e millénaire, une catastrophe concomitante avec la crise écologique.
La matière, oui, mais pas sans l’esprit
Cette histoire « naturelle » se veut enjôleuse avec ses « petits pois [faisant] s’élever l’architecture gothique » ou son « brin de menthe [qui] invente les parcs urbains du 19e siècle ». L’histoire des villes est autrement plus complexe, appartient aussi au symbolique et ne peut être rapportée à l’opposition artificielle nature/culture pourtant déconstruite par Descola. Prétendre que les dômes des basiliques sont destinés à renouveler l’air fait bondir n’importe quel byzantiniste ! Et dire que la fonction des cafés serait d’apporter de la chaleur aux clients, que les tapisseries des châteaux réchauffent des salles glaciales est pécher par naïveté. La matière, oui, mais pas sans l’esprit !

Le jardin de Philippe Rahm à Taichung (Taïwan)
On peut absoudre notre architecte « météorologique » par ses réalisations à Taichung (Taïwan) où, avec la paysagiste Catherine Mosbach et l’architecte Ricky Liu, il a pu aménager un parc « climatique ». La régulation thermique s’y fait par absorption du ruissellement des eaux pluviales. Le dessin du parc suit la course du soleil. Il ne produit aucun CO2, se veut dépolluant et déshumidificateur naturel en un lieu où les 80% d’humidité sont facilement atteints. En plantant 12 000 arbres équipés de machines projetant du froid et en fixant 10 000 panneaux solaires à 7 mètres de haut, cette canopée permet aux promeneurs d’alterner le chaud et le frais, appréciant les vents rafraîchis par des galeries souterraines. Le blanc est la couleur dominante de ce laboratoire climatique qui éclairera d’autres réalisations en cours à Milan et à Bassora (Irak) où Rahm a conçu un « kilomètre d’ombre ».
Délire
Autres lieux, autres créateurs. Avec Pierre Cardin (qui vient de décéder), on entre dans un empire immobilier conçu comme alternative aux banques. L’agitateur de la mode avait acheté le château de Sade à Lacoste, ceux des Quatre-Tours à Goult et de Falaise à Lioux (Vaucluse). Sa pépite kitchissime est le Palais des Bulles à Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes) où il avait organisé un défilé pour s’autocélébrer à l’occasion des soixante ans de sa maison en 2008. « 1200m² d’ondulation et de sphères évoquent sans cesse des formes féminines et voluptueuses que l’architecte Antti Lovag avait conçues pour rappeler l’habitat troglodyte, et d’une certaine manière un retour au source de l’habitat ancestral » vante le site. Manière de rappeler que le délire des uns ne s’accorde pas toujours avec la raison des autres.
Histoire naturelle de l’architecture, catalogue de l’exposition, Éditions de l’Arsenal, 312 p., 2020.
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