Heavy metal: quand le bruit se mondialise

Heavy Metal

(c) Rae Allen

Musique adulée ou incomprise, le métal est un genre de plus en plus populaire, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Émergeant à partir des années 1980, il a peu à peu conquis la planète. Petit panorama géographique d’un style… pas comme les autres.

On l’oublie parfois, la mondialisation n’est pas qu’économique. La culture, et notamment la musique, traverse les frontières et les océans. Le metal n’échappe pas à la règle et est devenu en quelques décennies un phénomène mondial. Il suffit pour s’en convaincre de voir les tournées des grands groupes, lesquelles passent bien souvent par les six continents (même l’Antarctique a vu passer Metallica sur son sol gelé). L’Afrique est souvent délaissée (excepté l’Afrique du Sud), mais davantage pour des raisons économiques et logistiques, le continent regorgeant d’adeptes.

Concernant l’origine des groupes et des styles, ici aussi, la mondialisation laisse des traces. Si l’immense majorité des groupes précurseurs proviennent d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest (ces deux régions ont vu émerger les parents du metal, le blues et le rock n’roll), l’avènement d’internet fait connaitre un lot de musiciens aussi talentueux que variés en provenance des quatre coins du globe.

Peut-on pour autant parler d’une géographie du metal ? Certains territoires seraient-ils propices à l’émergence d’un style plutôt qu’un autre ? Réponse nuancée évidemment. Souvent, l’association d’une région ou d’une ville à un style de metal est avant tout provoquée par l’éruption d’un ou de quelques groupes phares, qui vont influencer durablement une scène locale. La Californie est ainsi réputée pour être le centre névralgique du trash metal. De la même façon que Tampa, en Floride, est la terre de naissance de nombreux groupes de death metal. Dans ces deux cas, il est peu probable que ce soient le climat ensoleillé et les plages de sable jaune de ces régions qui aient influencé des musiques aussi sombres et violentes. Au contraire, leur centralité est sans doute davantage liée au succès et à l’influence majeure qu’exerceront certains groupes emblématiques : Exodus, Metallica et Slayer pour Los Angeles et San Francisco ; Death, Morbid Angel et Deicide pour la Floride. Comme souvent en géographie économique, le succès appelle le succès et la spécialisation d’un territoire s’auto-entretient. Mais il est difficile d’expliquer l’émergence d’un phénomène, autrement que par un heureux alignement de planètes.

Pour autant, d’autres styles ont émergé dans des territoires dont l’analyse permet de risquer quelques hypothèses à propos de l’univers musical qui les domine. Les liens inextricables entre la scène glam metal période Mötley Crüe et la ville de Los Angeles sont sans doute à chercher dans les dérives festives et orgiaques dont la cité des anges a le secret. La prolifération de groupes de hardcore au sein de la région newyorkaise s’explique en grande partie par le contexte socio-économique dans lequel évoluait la Grosse Pomme dans les années 1980, à savoir une mégapole dévorée par l’insécurité, les gangs et les tensions raciales. C’est de ce milieu qu’émerge la hargne musicale de groupes tels qu’Agnostic Front, Cro-Mags ou Biohazard. Hargne également présente dans leurs paroles, très engagées politiquement.

Burzum, Mayhem

Jusque sur les murs du Caire, mots doux entre groupes norvégiens (c) Hossam el-Hamalawy

L’émergence du black metal aussi s’explique géographiquement. L’association de ce style avec la Scandinavie doit évidemment au succès des pionniers du genre, principalement en Norvège[1], tels que Darkthrone, Mayhem et Burzum. Au-delà de leur réputation sulfureuse[2], ces derniers vont être une source d’inspiration durable pour des centaines de groupes d’Europe du Nord, et ce jusqu’à aujourd’hui. Mais ici encore, on voit comment la situation spatiale de la région va exercer une véritable influence sur la musique. Climat froid, forêts enneigées, faible luminosité, étendues désertes. Des caractéristiques qui peuvent décrire à la fois les paysages et la musique. Et il faut rendre au black métal sa capacité sans pareil à rendre compte d’une atmosphère en lien avec son imaginaire et l’espace dans lequel il évolue : sombre et mélancolique. Les racines antichrétiennes de ce courant ont mené dans les années 1990 et 2000 à des incendies d’églises, faisant des émules jusqu’en Bretagne. Cette hostilité trouve son fondement dans le contexte géohistorique : de nombreux musiciens reprochent au christianisme de s’être imposé dans la région en faisant table rase des divinités et du folklore local.

En réaction à l’uniformisation rampante caractéristique de notre époque émergent d’ailleurs des styles de metal revendiquant une culture et une identité « traditionnelles ». Englobés sous le vocable de folk metal, de nombreux groupes revisitent des styles de metal aves des instruments, des paroles et un imaginaire tirés d’une région particulière. Ce courant est de nouveau très présent en Scandinavie avec une réappropriation de la mythologie viking.

On peut également voir chez certains une volonté de mettre en évidence des cultures menacées par la modernisation forcée qui caractérise notre société. Max Cavalera, à la fois avec Sepultura et Soulfly, compose des morceaux en association avec des groupes de musique brésilienne, voire avec des peuplades dont l’existence même est remise en cause, tels que les Navajos, peuple amérindien du sud-ouest des États-Unis. Dans un registre similaire, le groupe System Of a Down, dont les quatre membres sont d’origine arménienne, s’attache à faire (re)connaître le génocide dont ont été victimes leurs ancêtres.

Pour terminer ce bref panorama, soulignons le fait qu’écouter et jouer du metal est encore proscrit sous certaines latitudes et peut, comme en Iran ou en Arabie Saoudite, être passible d’une condamnation à mort. Pas de généralités ceci-dit puisque le premier pays musulman au monde, l’Indonésie, abrite une très importante communauté metal, incluant d’ailleurs… le président Joko Widodo en personne. On peut voir de nombreux clichés de ce dernier sur la toile portant avec fierté un t-shirt à l’effigie du célèbre groupe britannique Napalm Death, ce qui a encouragé le groupe à lui écrire en 2015 pour lui faire part de son opposition à la peine capitale, encore en vigueur dans l’archipel indonésien.

On le voit, esquisser une géographie du metal n’est pas chose aisée[3]. Tant les facteurs qui influencent la musique sont nombreux. Il n’empêche que le contexte sociospatial permet d’expliquer ici et là l’émergence de tel ou tel genre musical. Bien entendu, il n’est pas question d’exagérer l’importance du climat ou du contexte social d’un lieu pour définir un style. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui, où la musique n’a jamais traversé aussi facilement les frontières. Il en résulte une multiplication des genres et des sous-genres s’influençant mutuellement, et ce quelle que soit la région du monde. Bien que cela rende parfois difficile de s’y retrouver, c’est tant mieux.


[1] Au point que ce genre musical figure dorénavant dans les formations dispensées par le ministère des affaires étrangères aux diplomates en poste dans le pays.

[2] Le leader de Burzum, Varg Vikernes, a notamment embrassé l’idéologie néo-nazie et a assassiné un membre de Mayhem en 1993. Il a purgé une peine de 16 ans de prison à la suite de cet évènement.

[3] L’université de Newcastle, en Australie, propose des programmes d’études centrés sur ce sujet. Ceux-ci sont dirigés par le géographe Simon Springer, auteur de Pour une géographie anarchiste.


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2 réflexions au sujet de « Heavy metal: quand le bruit se mondialise »

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