« Comment fait-on l’amour ailleurs? »

L'incroyable histoire du sexeL’un de nos rapports aux autres et au monde, c’est la sexualité. Elle est à l’origine de pratiques très différenciées qui dessinent des aires culturelles bien identifiables. Est-ce si sûr ? N’y a-t-il pas une forme d’universalisme des pratiques corporelles ? Une BD donne la réponse.

Tout commence en 2006 au Café de Flore à Paris, puis au Festival international de géographie de Saint-Dié, lorsque le géographe Pierre Gentelle lance un débat sur le sexe comme objet géographique et sur les lieux de la sexualité. On découvre que certains bords de fleuves et rivières instables par nature, et donc inconstructibles, sont des lieux de rencontre pour le sexe partout dans le monde, en Europe comme en Chine ou au Japon. De l’étude des lieux, on passe à celle des pratiques sexuelles et, là, la géographie passe par l’histoire de leur visibilité qui varient comme un pendule : tolérance/répression/tolérance…

Rien de « naturel » dans le sexe

Dans L’incroyable histoire du sexe (Les Arènes BD) dont le tome 2 consacré à l’Afrique et l’Asie vient de paraître, le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot (Université de Paris) et la dessinatrice Laetitia Coryn se demandent : «Comment fait-on l’amour ailleurs ?» Rien de « naturel », d’universel ! La réponse est culturelle, la sexualité tient largement à l’éducation, aux interdits sociaux et familiaux, aux coutumes qui changent, parfois très vite, avec ce qu’on appelle maladroitement l’évolution des mœurs. Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand avaient œuvré à légiférer pour accompagner une évolution très rapide des comportements sociaux réclamée par le mouvement de mai 1968.

L'incroyable histoire du sexe

L’incroyable histoire du sexe (t. 2), p. 15 © Philippe Brenot, Laetitia Coryn

Mais ailleurs ? Philippe Brenot fouille des milliers d’articles, des textes anciens sur l’érotisme, réservés à des lecteurs savants, intellectuels, dissimulés aux femmes (encore que la littérature érotique circule intensément au XVIIIe si l’on compte les embastillements). Ainsi, les 189 contes des Mille et Une Nuits dont certains remontent au Xe siècle et qui n’étaient connus que des lettrés. Il faut attendre les érudits du XIXe siècle qui en trouvent dans une bibliothèque de l’université de Leyde aux Pays-Bas. Tout comme le rappelle Brenot, le Kamasutra, composé par Vâtsyâyana au IVe siècle pour les hautes castes de l’Inde et que l’on connaît grâce à Richard Burton il y a un peu plus d’un siècle.

Le sexe résiste à la géographie

Dès lors, on se demande où seraient les invariants des pratiques sexuelles ? Y a-t-il une géographie du désir, de l’érotisme, des interdits ? Certains matriarcats corrigent-ils les dominations patriarcales ? Et la sexualité dominante tolère-t-elle les autres ?  Brenot présente cinq régions et l’histoire de leurs rapports aux sexualités : l’Inde, « civilisation de l’amour », le Moyen-Orient, « Mille et un sexes », l’Afrique (subsaharienne) comme le « Sexe originel », la Chine « Sexe céleste » et le Japon « Empire des sens ». Pour autant, le sexe résiste à la géographie. Rien ne se passe de la même manière d’une époque à l’autre. Et lorsque l’Europe victorienne du XIXe siècle mythifie l’érotisme « oriental » avec Delacroix, Byron, Lawrence et d’autres, est-ce pour échapper à l’étouffoir qu’a été cette époque après le brillant XVIIIe siècle français ?

Ce que pense Brenot, c’est à un « ordre matrilinéaire – la seule origine certaine étant celle de la mère – et malheureusement très vite, la généralisation de la domination masculine, s’exprimant à traverse l’éducation érotique raffinée de courtisanes soumises au désir des hommes », dans des lieux fermés voire contrôlés : harems, maisons de thé ou de plaisirs appelés il y a peu « bordels ».

Quelques îlots dans le temps et en certaines régions ont toléré le désir, le plaisir, l’amour et le respect des femmes. Au Japon, dans l’île de Monotoko Nushiri où ne vivent aucun homme, les femmes copulent avec le vent.

En Inde, la mythologie des origines renvoie à des accouplements divins (Brahma, Vishnou, Shiva) qui conduisent une « civilisation du lingam » (nom donné au phallus). Les temples de l’amour, dédiés à Shiva, foisonnent de sculptures évoquant la fertilité et des rites orgiaques, ou le « secret du bonheur », en réalité une violente domination masculine comme ce fut le cas avec les maharajas.  Dans l’Islam, un lieu est central : le paradis, terme issu de la Perse des jardins, est la figure d’un monde à venir. La question des mariages est au centre de la vie sociale et son évolution est, pour Brenot, perceptible au Maroc et en Tunisie.

Dans les 2000 ethnies de l’Afrique subsaharienne, le sexe est au cœur de l’organisation sociale, enkysté entre tabou et liberté. Les pratiques animistes, la polygamie acceptée dans 25 Etats donnent une toile de fond régionale. L’homosexualité violemment réprimée aujourd’hui a été autrefois acceptée en Angola chez les Quimbandas, en Zambie, à Zanzibar. Selon une légende bien établie, le lac Kivu doit son origine à une relation sexuelle entre une reine et son garde, le kunyaza, pratiquée encore de nos jours. Initiations, coits rituels, mutilations, pédérastie, beauté des corps, rien n’est oublié.

L'incroyable histoire du sexe

Le taoisme © Philippe Brenot, Laetitia Coryn

Mao supersex

En Chine, les mythes accordent à un œuf cosmique représentant le chaos originel d’où émerge le Céleste empire et la dynastie Xia et son empereur Jaune Huangdî.  Brenot rappelle que la mythologie chinoise montre initialement un matriarcat qui sera dominé finalement par un ordre masculin largement dû à Confuciux. Il n’efface cependant pas une sexualité qu’on pense sur le mode de la poésie. L’éducation érotique des élites est à la hauteur de la répression qui s’abat sur le pays avec les Mandchous et le communisme (alors que… Mao ne donnait pas l’exemple) et la politique maoïste de l’enfant unique envoyée, il y a peu, aux oubliettes.

Quant au Japon, il est né d’un inceste entre deux demi-dieux, Izanagi-no-Mikoto et Izanami-no-Mikoto. Initiés par le shinto (la voie du divin) et ses forces obscures, les Japonais leur opposent la purification par le bain et l’abstinence. L’histoire est féconde de ces périodes où la femme est coupable, mais aussi puissante par « sa liqueur d’immortalité ». En effet, sous les Heian, les femmes jouissent de conditions d’égalité avant d’être victimes d’une forte misogynie samouraïe et d’une domination des courtisanes. Les estampes qui ont inspiré les mangas érotiques vont jusqu’à évoquer les bruits du sexe. Aujourd’hui, pour Brenot, le Japon reste « patriarchal et hétéroconcentré », le mariage pour 97% des couples semble étouffer la sexualité et le désir d’enfants.

Le ton du livre est joyeux, plein d’humour parfois potache, avec des apartés qui sont autant de commentaires offrant une certaine distance à l’égard de ce qui paraît exotique. En pleine révolution #Metoo, cette BD dédramatise les différences.


Philippe Brenot, Laetitia Coryn, L’incroyable histoire du sexe. Livre II, de l’Afrique à l’Asie, Les Arènes, 2020.


Pour en savoir plus : 

Marianne Blidon, « Géographie de la sexualité ou sexualité du géographe ? Quelques leçons autour d’une injonction« , Annales de géographie, n°687-688, 2012.

Nicolas Boivin, « Territoires hédonistes du sexe. Pour une géographie des subjectivations », Géographie et cultures, n°83, 2012.

Gentelle Pierre, « Le sexe, objet géographique ? », Lettre de Cassandre, n° 51, 2006.


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