Alors que le cinéma des deux dernières décennies regorge de visions apocalyptiques, voir ou revoir Stalker offre l’occasion de porter un autre regard sur les ruines du présent peuplant nos imaginaires collectifs. Dans son cinquième long-métrage, sorti en 1979, Tarkovski interroge notre rapport au paysage et, plus largement, construit un discours critique dont la portée va bien au-delà du contexte soviétique. (Texte initialiement publié dans Le Courrier Art et Essai n°257)
Retour à la nature
Rappel rapide : une région interdite abrite une chambre dans laquelle s’exaucent les souhaits. Un écrivain en panne d’inspiration et un scientifique aux motivations incertaines pénètrent dans la mystérieuse « Zone » en compagnie d’un Stalker, seul capable de les mener.
Première constatation des visiteurs une fois déjouée la surveillance des gardiens : la nature a repris ses droits et commence à recouvrir les traces de vie antérieure – blocs de béton, chars d’assaut, cadavres.
Mais si la nostalgie domine les paysages de ruines dont raffole aujourd’hui le cinéma, Tarkovski, lui, célèbre cette nature conquérante. En témoigne le retour de la couleur, contrastant avec le noir et blanc du début du film. En témoigne aussi le rapport charnel du Stalker avec la végétation, la terre, les insectes.
Chez Tarkovski, la vie nous arrache à la nature et à l’innocence : qu’on se rappelle l’arbre ouvrant L’enfance d’Ivan ou le jardin luxuriant des premiers plans de Solaris. La Zone est le lieu d’un retour heureux à la nature, loin du sordide paysage industriel des environs, ses briques, sa fumée, ses tours de refroidissement.
Un espace insaisissable
Mais le plus frappant dans la Zone, c’est l’annulation radicale de l’espace tel qu’on le connaît. La ligne droite n’est pas toujours la voie la plus rapide, rebrousser chemin est interdit et des pièges attendent ici et là les imprudents, comme dans un jeu de l’oie grandeur nature.

Stalker (réal. Andrei Tarkovski, 1979)
En constante transformation, la Zone forme un territoire mouvant, parcouru de réseaux invisibles, doté d’une volonté propre et sans cesse en recomposition. C’est une région impossible à cartographier, échappant au regard scientifique et aux théories.
Tarkovski conçoit un espace se dérobant à la rationalité occidentale. Une manière de s’opposer à la modernité contemporaine, obsédée par l’orthogonalité et les découpages nets, tant intellectuels que géographiques.
Cinéaste mystique s’il en est, il oppose la foi – et l’art – aux formules mathématiques, la déambulation et le désordre naturel à la carte et au GPS.
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