Infects, les insectes ?

Frelon asiatique, moustique tigre, punaise diabolique, pucerons… l’heure d’été va sonner leur belle saison. Rien n’est simple pour les amateurs qui veulent attirer abeilles, osmies, coléoptères, scarabées, papillons, syrphes pour la pollinisation de leurs arbres fruitiers. Sans oublier les recherches sur le bien-être des insectes, un sujet encore tabou. (Gilles Fumey)

Nous bataillons contre eux tout en regrettant les mouches sur nos pares-brises, funeste signal d’une dégringolade de biodiversité. Mais nous oublions que les militaires ont démoustiqué le Languedoc au DDT (voir le reportage de l’INA daté du 3 mai 1964), assaini les côtes héraultaises pour les livrer au tourisme de masse. Comment être entomologiste alors que les insectes seraient, à l’instar des mammifères, des êtes sensibles, capables de ressentir douleur et plaisir, d’avoir une forme de conscience minimale de soi?

Quelle plus belle image de la vie que les insectes! Voici le cri du cœur de Philippe Le Gall, de la Société entomologique de France. Multitude foisonnante, multicolore sinon grouillante, les insectes nous connectent à la nature, «cette source vivifiante à laquelle nous pensions en toute illusion pouvoir nous soustraire». On n’est pas là pour fabriquer des catégories «utiles» ou «nuisibles» mais pour s’étonner de leurs formes, leurs comportements, leurs capacités à enflammer notre imaginaire. La récente déclaration de New York, signée le 19 avril 2024 par 287 chercheurs, incite à prendre en compte la manière dont nous traitons tous les animaux, insectes compris, dans un contexte de recherche expérimentale ou d’élevage.

Comment s’approcher de ce continent représenté par plus d’un million d’espèces connues, discrètes par leurs mœurs? Pour nous en faire un portrait, Denis Richard et Pierre-Olivier Maquart ont dû choisir les espèces représentatives de leur univers et leurs connexions avec les humains. Pour comprendre surtout l’urgence de les protéger.

Comment expliquer aux lecteurs de Médiapart que les insectes vivent comme nous en géographes? Qu’ils écrivent la Terre à leur manière… En distinguant, par exemple, ceux qui se dispersent et conquièrent de nouvelles terres. En mettant en avant leur plasticité génétique, leur taille réduite, leur souplesse d’adaptation expliquant qu’on ait pu les trouver sur des îles reculées, ayant franchi les mers sur des radeaux végétaux ou entraînés par des courants atmosphériques, supportant les vents et le froid des archipels de l’hémisphère Sud, jusqu’en Antarctique, franchissant les déserts et les montagnes avec les humains. Certains sont redoutés dans l’histoire comme les Criquets, connus pour leurs ravages dès l’invention de l’agriculture, les Doryphores, qui ont conquis les deux-tiers des terres émergées en un temps record, les Moustiques, présents depuis 220 millions d’années. Les insectes les plus fragiles ne sont pas les moins résistants, comme les fameux Monarques. Pourtant, tout ceci n’est pas un beau conte de fées: la pire menace est, aujourd’hui, tout simplement, l’extinction.

On aurait plutôt l’impression inverse… Suivons les Guêpes émeraudes qui suivent elles-mêmes les Blattes américaines partout dans le monde, ces parasitoïdes muant leurs proies en zombies par injection de toxines. Zoomons sur les Punaises des lits, dissimulées dans les fissures des parquets et des meubles, les matelas, les cadres et raccords de papiers peints, pouvant piquer jusqu’à quatre-vingt-dix fois un humain endormi pendant dix à vingt minutes. Sans voler ni sauter, ces insectes gros comme un pépin de pomme se reproduisent par centaines à chaque fécondation et survivent à des disettes de plusieurs mois. Disparues depuis les années 1950, elles réapparaissent après 1990 par résistance à certains insecticides, mondialisation des échanges, tourisme de masse, chauffage domestique… On aimerait qu’elles suivent la voie des Monarques, menacés d’une fin de règne par une extinction qui a déjà atteint 80% de l’espèce. Pourquoi migraient-ils? Parce qu’ils n’aimaient pas l’hiver…

Ce papillon est capable de parcourir 5000 kilomètres ! © National Geographic Wild France

La vie est l’art de survivre

Les fragiles insectes cultivent cette évidence avec excellence, au moins au stade larvaire: défense par leur anatomie, par leur capacité mimétique, l’usage de substances toxiques, par des stratégies de prédation directe ou de parasitoïdisme (le développement de la larve est rendu possible par la mort de son hôte), par leurs capacités de perpétuation avec stratégies de protection ou d’agression très sophistiquées. Dans le Cerrado brésilien, à l’automne, la luminescence des termites donne un spectacle étrange, tout comme celle des lucioles dont les signaux servent aussi d’avertissement à l’égard des prédateurs. Dans le Kalahari, les Bushmen se servent des nymphes de Carabidé pour empoisonner leurs flèches. En Asie, les Bombardiers crépitants se protègent en projetant un nébulisant bouillant et caustique tout comme les Carabes violons émettent de l’acide butyrique répulsif.

Les termitières du Cerrado (Brésil) © Futura Sciences

Depuis une décennie, on sait que les bourdons peuvent faire rouler des billes apparemment pour le seul plaisir du jeu et que le sommeil des mouches drosophiles est perturbé lorsqu’on les isole de leurs congénères. La capacité des vertébrés et, notamment, des insectes, à accéder à une expérience consciente est établie.

Spectacle du vivant

Dans l’ambivalence de l’attitude humaine face aux insectes, certains fascinent pour leurs formes (le phasme Méga-Canne de Chan et ses 56 cm de longueur), leurs capacités à franchir des distances considérables, à sauter à des hauteurs qui nous paraissent vertigineuses (25 cm pour la puce du chien, soit 125 fois sa longueur), à courir ou voler très vite (une libellule jusqu’à 98 km/h). Avec 400 millions d’années d’évolution, ils sont parfois peu exigeants, parfois excellents auxiliaires comme pollinisateurs, recycleurs de matière organique, fouisseurs de sols, s’impliquant dans les chaînes alimentaires. Ils fascinent, car les humains peuvent s’inspirer d’eux pour la conception de biomatériaux, de biotechs ou de molécules d’intérêt pharmacologiques.

À Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), on pouvait rencontrer dans les années 1980 les derniers bagnards toujours émerveillés par le bleu des Morphos, voire les cochenilles, le Kermès des teinturiers. En Nouvelle-Guinée, certains ornithoptères portent encore les stigmates de la colonisation (on a osé les nommer «Reine Alexandra»). Quant aux «Scarabées bijoux» des Anglo-Saxons à la cuticule iridescente, leurs formes et leurs couleurs ont été pillées par les couturiers, tout comme l’Arlequin de Cayenne qui eut les honneurs d’une nature morte de Jan Brueghel. Tout le contraire du Sphinx Tête de mort et son envergure de 14 cm qui effarouchait les Bretons en pleine nuit au 18e siècle. Rendrons-nous hommage au Bombyx du mûrier à l’origine de la soie qui a ennobli les vêtements du Japon à l’Europe? Et que dire du Sphinx de Morgan inspirant Darwin dans ses travaux sur la co-évolution.

On peut creuser tous les mystères des métamorphoses de la vie des insectes avec Monique Berger, qui donne pas moins de 500 photos impressionnantes sur ce monde étrange de l’entomologie. Comment les abeilles font leurs nids, comment sont organisées les fourmilières, comment les plantes sont pollinisées? Tout est détaillé par le menu de photos toutes aussi sidérantes sur ce monde caché en train de disparaître par nos pratiques mortifères.


Patrick Drevet, auteur d’un merveilleux récit d’enfance, Le Miroir aux papillons (Belfond), a bien voulu commenter le livre de Frédéric Archaux, Dans l’intimité des papillons (Éditions Quae). Une monographie complète, détaillée, de l’espèce des lépidoptères, étymologiquement: porteurs d’«ailes à écailles».

Intimité de leur genèse et de leurs gènes, avec le témoignage des quelques fossiles qu’on a pu trouver et qui permettent de dater leur apparition bien avant celle des dinosaures et même avant celle des plantes à fleurs devenues leurs indispensables sources d’alimentation.

Intimité de leur structure ensuite, examinée au microscope électronique tant dans son évolution que dans sa morphologie variant selon qu’ils sont diurnes ou nocturnes et selon leurs modes d’être.

Intimité de leurs accouplements puisqu’à quelques exceptions près les papillons se reproduisent par voie sexuée, ce qui entraîne des dimorphismes, des stratégies et des parades également divers.

Intimité de leur curriculum vitae aussi complexe que spectaculaire, depuis leur transformation d’œuf en chenille, de chenille en chrysalide et de chrysalide en imago.

Intimité de leurs luttes pour échapper à leurs prédateurs, à l’origine des bigarrures de leurs livrées destinées à impressionner, menacer, effrayer; et de leurs comportements alimentaires qui en conduisent certains à des migrations longues de milliers de kilomètres comme le Monarque et la Belle Dame.

Frédéric Archaux évoque ce que sont les conditions idéales pour une vie de papillon, de plus en plus fragilisées par les pratiques de l’agriculture moderne. Les nombreux clichés de papillons, plus magnifiques les uns que les autres, éparpillés dans les pages, atténuent avec bonheur le regret que l’on peut éprouver face à un traitement qui dépouille un peu trop son objet de toute la poésie dont il est porteur, en lien avec l’enfance émerveillée par ces feux d’artifice miniatures après lesquels les enfants que nous avons tous été se lançaient dans la nature au cours de chasses homériques.


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