Des églises vides à remplir?

Le Parvis Saint-Jean, théâtre de Dijon Bourgogne (depuis 1974)

Des bâtiments de grande valeur patrimoniale laissés à l’abandon en France. Une nouvelle géographie du patrimoine? Le clergé catholique est-il responsable? Lisons un jeune prêtre qui vient d’être ordonné: ses mots mériteraient un bon coup de crosse. (Gilles Fumey)

Les vacances et le tourisme donnent à voir des bâtiments publics vides, voire en déshérence. Notamment les églises, tant dans les villes que les villages. Faute d’officiants, les cultes y sont de plus en plus rares. L’Église catholique se réjouit d’ordonner ces jours-ci 88 prêtres, soit 36 de moins qu’en 2022, un effondrement par rapport à il y a vingt ans où près de 250 faisaient allégeance aux évêques, chefs des diocèses. Ceux qui se font encore appeler « père », contrairement à ce que préconise l’Évangile[1], sont, de fait, une minorité en voie de remplacement qu’on peut comparer aux innombrables pasteur(e)s de toutes les Églises protestantes regroupant plus de 820 millions de fidèles dans le monde: pasteures femmes (en Europe surtout), pasteurs hommes d’affaires (notamment dans les pays en développement).[2]

En France donc, la raréfaction des cultes catholiques n’a pas encore signé la fin de l’Église, le règne des curés à la tête des paroisses n’en est pas pour autant terminé. Même si le nombre d’églises rasées, promises à la démolition ou à d’autres affectations est en croissance exponentielle, les chrétiens vivent leur religion autrement que par les messes: les lieux de pèlerinage ne désemplissent pas, l’édition catholique se porte bien, le pape attire toujours les foules au Portugal cet été, à Marseille cet automne. Des pépinières de curés comme les séminaires de Lille ou Bordeaux ont fermé leurs portes.

D’une mondanité à l’autre

Ce déclin ne décourage pas certains jeunes, comme le presque trentenaire Augustin Rocoffort de Vinnière, nouvellement ordonné à la cathédrale Saint-Jean de Lyon, qui s’exprime ainsi, dans un langage brut de décoffrage: «Je sais que je ne vais pas m’ennuyer, c’est un vrai challenge.»[3] On va lui confier les brebis du troupeau roannais. Nul doute que son diplôme d’ingénieur Arts et métiers[4] va l’aider à tenir, avec ses confrères, les dix clochers qu’on leur a confiés dans cette paroisse de Roanne, au nord de Lyon.

L’Eglise a-t-elle tant changé depuis 1972? © Fellini Roma

Le plus sidérant est ici lorsque le jeune prêtre poursuit: «J’aurais pu avoir un mariage et une belle voiture, mais Dieu m’a appelé à servir. Je ne le regrette absolument pas, mais c’est un pas que tout le monde ne franchit pas…» En pleine lutte contre le cléricalisme demandée par le pape François, cette manière de se présenter suscite l’effroi. Comment mettre en parallèle «un mariage et une belle voiture» avec son «appel» à servir? Non seulement, cher Augustin, associer les mariages et les belles bagnoles est assez méprisant pour ceux qui se marient dans le dénuement, ceux qui ne se marient pas, ceux qui sont de vrais croyants et détestent les belles voitures. Mais surtout, être marié ne signifie pas qu’on ne soit pas appelé, comme toi, à servir. Les milliers d’associations et d’ONG en France et dans le monde apportent aujourd’hui bien plus de services que l’Église catholique actuelle, rongée par les scandales, les défaites, les crimes de quelques-uns, qui se croyaient, comme toi, au-dessus de la mêlée et qui ont causé des dommages irréparables auprès d’enfants et de femmes.

Là où nous te rejoignons, c’est «un pas que tout le monde ne franchit pas». Mais pas pour les raisons que tu invoques. Mais parce que s’il faut décléricaliser l’Eglise comme le demande le chef de l’Église à Rome, il ne faudrait pas encourager la prêtrise à ceux se pensent comme toi, au-dessus d’un peuple qui, à l’inverse de l’engagement que tu as pris, ne serait pas capable de servir.

La quête du pouvoir

La vraie raison de l’engagement des prêtres d’hier et d’aujourd’hui, me confie un théologien qui souhaite garder l’anonymat, c’est la quête du pouvoir. Un pouvoir qui te conduira peut-être, mais je ne l’espère pas, à des abus sur les plus fragiles qui te verront comme tu te décris: meilleur que les autres, parce que tu aurais fait le sacrifice d’un beau mariage et d’une belle bagnole. Parce que le discours que tu tiens aujourd’hui, certains vont l’intégrer, te croire supérieur à eux. Tu auras beau, avec tes confrères comme Laurent Tournier[5], mettre en avant ton «engagement à vie». Nous le souhaitons tous, mais les curés qui défroquent (ou se font défroquer par la justice romaine) sont si nombreux que je te conseillerais, sur ce point, un peu de prudence et d’humilité.

On se demande comment la formation qu’on t’a donnée a tenu compte de tout ce qui a été dévoilé ces dernières années. On pensait que des femmes pourraient enseigner dans les séminaires. Je parierais que tu n’en as jamais entendu.

Coluche, un serviteur des pauvres.

Tu t’enthousiasmes pour le travail qui t’attend. Heureusement! Quel jeune ne prend pas un poste tout émoustillé par la confiance qu’on lui fait. Mais là encore, tu devrais être modeste. Tes confrères ne ploient-ils pas devant l’immensité des territoires paroissiaux? N’a-t-on pas vu revenir récemment à Lyon l’évêque de Nevers, Thierry Brac de la Perrière, qui a donné sa démission au pape pour «raisons de santé»? Des prélats en burn out, qui l’eût cru?

L’Église (pas celle des prêtres, mais celle des laïcs) devrait se réjouir de ton enthousiasme et te pardonner ce qui n’est, peut-être, qu’une maladresse. Mais elle a peut-être aussi raison de se méfier. Je crains que de te voir appelé désormais «père» n’abreuve encore plus ton hubris à te sentir élu et que cette élection te conduise là où tu ne voudrais pas aller.

De l’autre côté de la barrière que ton engagement a dressée, de nombreux chrétiens ne regretteront pas de n’avoir pas eu la force de s’engager comme toi à renoncer à un mariage et une belle voiture. Avec ou sans l’un ni l’autre, la plupart sert dans la grande barque à la dérive qu’est l’Église actuelle. Artistes, architectes, sculpteurs, musiciens, metteurs en scène, conférenciers, ils font parler les pierres des églises désaffectées d’Avignon, de Dijon, de Toulouse, de France et de Navarre. Parce qu’il n’était pas écrit qu’elles devaient attendre les cultes d’un clergé formaté du XIIe au XVIIe siècle[6] qui n’en finit pas de se raréfier et, pour beaucoup, impuissant à se réformer.


[1] «N’appelez personne sur la terre votre père, un seul, en effet, est votre Père, celui qui est au ciel» (Matthieu23, 9) − est en rapport assez étroit avec ce qu’on appelle le «discours contre les hypocrites» qui traverse tout le chapitre 23 de l’Évangile de Matthieu. Voir l’analyse de la théologienne Justina Metzdorf dans Communio 2021/1 (n°273), p.41-52.

[2] Tel Edir Marcedo, chef de l’Eglise universelle du Règne de Dieu, au Brésil, à la tête d’une fortune de 725 millions d’euros.

[3] Le Parisien, 9 juillet 2023.

[4] ECAM de Lyon, appartenant au groupe privé des prêtres lasalliens.

[5] Le Parisien, id.

[6] En France, le XIIe siècle a vu le célibat imposé aux prêtres (qui sont nombreux à ne pas le respecter) et le XVIIe siècle la création des séminaires pour les former à la vie pastorale.


À lire/voir

«Trois mois après le rapport Sauvé, comment vont les catholiques ?» (RCF, 2022)

Voir ou revoir cet extrait de Fellini Roma (1972)


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Une réflexion au sujet de « Des églises vides à remplir? »

  1. un peu dur, et très critique. Vos commentaires font réfléchir, d’une église en ruine, vous rasez les décombres et les restes de l’ « Eglise » en ruine. Un peu de bonne foi est préférable à beaucoup de mauvaise. C’est radical, comme propos, presque une condamnation à ne plus être.

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