Bienvenue sur la planète metal

L’arrivée de l’été marque le début de la saison des festivals. Parmi eux, le Hellfest est une véritable institution pour de nombreux fans de metal, et attire chaque année 180 000 fans. Entretien avec Corentin Charbonnier, anthropologue, co-commissaire d’une exposition à la Philharmonie de Paris jusqu’au 29/9/24. (Renaud Duterme)

Géographie en mouvement – Cette exposition semble unique en son genre, par son ampleur et l’engouement qui l’accompagne. Peux-tu revenir sur les origines de cet évènement?

Corentin Charbonnier – Les choses ont commencé il y a trois ans lorsque la Philharmonie de Paris m’a contacté. Ayant déjà organisé différentes expositions sur d’autres styles de musique, l’envie s’est fait sentir de mettre en avant le metal, musique ô combien incomprise. Après différentes rencontres, les choses se sont concrétisées en avril 2022 avec comme perspective une ouverture deux ans plus tard. Ce qui nous a conduits à mener des recherches intensives auprès d’acteurs du secteur (labels, organisateurs de concerts, fans) mais aussi  de conseillers scientifiques (notamment deux journalistes actifs dans le milieu metal depuis plusieurs décennies, et ayant donc vécu l’émergence du style «en direct») et bien sûr de nombreux artistes (musiciens, groupes, dessinateurs, etc.).

Nous avons ensuite procédé à la récolte des œuvres (vinyles collector, peintures, sculptures, instruments, textes, décors de scènes, logos, etc.), ce qui nous a conduits à effectuer quelques voyages, rencontrer des artistes, des managers, etc. Il a fallu faire venir une guillotine géante utilisée en concert par Alice Cooper, ou le chopper sur lequel Mötley Crüe rentrait sur scène. À notre surprise, les contacts avec les artistes ont été faciles et l’engouement de ces derniers comme du public rend l’ampleur de ce projet original.

GEM – Quiconque connaît le milieu se rend vite compte de l’aspect communautaire du métal. L’organisation que tu décris semble confirmer cela.

CC – En effet et de mon point de vue, ce trait trouve son origine dans la quasi-absence de subventions dont bénéficie ce style musical. La scène metal fonctionne avant tout grâce au public, lequel n’est pas uniquement spectateur mais aussi acteur et consommateur. Si tu veux soutenir le groupe, tu achètes des CD, des T-shirts (pour le Hellfest, 40 000 t-shirts sont vendus pour 60 000 festivaliers par jour), tu es bénévole, tu organises des concerts. Tout ça crée un sentiment de reconnaissance entre fans de tel ou tel style ou tel ou tel groupe.

De ce fait et sans doute en raison de la brutalité de certains styles (le metal se subdivise en minimum 90 sous-styles), la scène metal est moins exposée médiatiquement que d’autres genres musicaux, ce qui est d’ailleurs une volonté de nombreux groupes.

Les lieux de rencontre (bars, salle de concerts, festivals) sont également assez rares. Le fait que les fans se retrouvent fréquemment dans les mêmes endroits encourage des logiques psycho-sociales d’appartenance à une communauté.

Enfin, force est de constater que le milieu évolue peu au fur et à mesure des années: les labels, les managers, les groupes, les organisateurs sont présents d’année en année. Le public lui-même vieillit quelque peu (la moyenne d’âge lors du Hellfest ou du Motoculor étant proche de la quarantaine), ce qui s’explique également par le coût financier. On constate d’ailleurs un caractère intergénérationnel présent à la fois au sein du public (de nombreux festivaliers viennent en famille) mais aussi chez les artistes (l’exemple de la famille Cavalera est emblématique).

Cela favorise les liens, non seulement entre le public et les groupes, mais aussi entre les adeptes eux-mêmes tout comme entre les groupes.

GEM – De façon provocatrice, peut-on comparer le metal à une religion?

CC – Disons qu’en tant qu’anthropologue des religions, les similitudes entre les deux phénomènes m’ont interpellé. Pour beaucoup d’habitués, les festivals constituent une sorte de pèlerinage. Toute ton année est rythmée par cet évènement, entre le moment où tu achètes les places, celui où sont dévoilées les têtes d’affiche, les semaines précédant l’évènement durant lesquelles tu organises toute ta logistique, tu sélectionnes les concerts auxquels tu vas assister. C’est une expérience collective en dehors du temps et des conventions sociales. Le seul élément qui t’identifie durant ce laps de temps est ton appartenance à ta communauté, et ce, au-delà de ton genre, de ton âge, de ton emploi, voire de tes idées politiques. On peut faire un parallèle avec la logique de pèlerinage puisqu’une partie du public n’hésite pas à parcourir des milliers de kilomètres pour assister aux grandes messes propres à chaque pays (Hellfest en France, Wacken Open Air en Allemagne, Brutal Assault en République Tchèque, Download au Royaume-Uni, Graspop en Belgique), sans oublier les nombreux festivals plus modestes qui gravitent autour de ces mastodontes. 

Comme les religions, le metal possède aussi ses mythes fondateurs et ses idoles, une partie d’entre elles étant d’ailleurs toujours vivantes et effectuant encore des tournées. Même si la première vague a disparu ou tend à l’être (Led Zeppelin, Black Sabbath, Deep Purple, Iron Maiden, etc.), une seconde est encore très active (Metallica, Slayer, Machine Head, etc.). Sans oublier certains artistes faisant l’objet d’un véritable culte, à l’instar de Lemmy Kilmister, chanteur de Motörhead et dont la statue géante orne les allées du Hellfest. Bien que n’ayant jamais qualifié leur musique de metal («Nous jouons du rock’n roll», déclarait Lemmy au début de chaque concert), la quasi-totalité des sous-genres se reconnaissent dans ce groupe, non seulement par sa musique mais aussi par son attitude (provocation, côté libertaire, sexe, drogue, alcool, constance, authenticité, etc.).

En définitive, le metal vient souvent envahir le quotidien des passionnés. Plus qu’une musique que l’on écoute ponctuellement, il constitue pour beaucoup un mode de vie, raison qui explique sa longévité.

GEM – Justement, ce mode de vie s’accompagne d’un certain nombre de rituels, non?

CC – Tout à fait et l’on peut spontanément penser à l’accoutrement vestimentaire, souvent préparé, organisé et pensé en fonction du concert et de l’évènement auquel on participe.

Les danses dans le métal sont assez variées (le pogo hérité du punk, mais aussi les wall of death, les mosh pits, circle pits et autres slams) et peuvent se rapprocher des rites évoqués par des anthropologues au sein de sociétés traditionnelles du fait qu’elles permettent d’avoir une position subjuguée au sein d’un groupe, et ce notamment via l’expérience de la douleur (coups, ecchymoses, etc.), laquelle marque un sentiment d’appartenance et symbolise la participation à l’évènement.

Les rapports au corps sont d’ailleurs importants dans le metal, notamment à travers le piercing, le tatouage, voire la scarification. L’incision dans la chair constitue une valeur symbolique ainsi qu’un attachement personnel à un style ou à un groupe.

Enfin, le bénévolat déjà évoqué (75% des acteurs du metal ont une activité non rémunérée telles que gérants d’associations, bénévoles dans les évènements, musiciens, techniciens, organisateurs…) favorise l’autonomie du secteur et par conséquent des relations d’entraide et de réciprocité.

GEM – Peut-on également constater certaines dérives au sein d’une partie de cette communauté?

CC – Le metal est depuis ses débuts une musique jouant allègrement sur la provocation et possède une volonté, pas forcément de choquer mais au moins d’emmerder le monde. De ce fait, certains groupes polémiques bénéficient d’une audience au sein de l’exposition, au nom du rôle qu’ils ont joué dans l’avènement de cette musique.

Mais le metal n’échappe pas aux évolutions sociétales de ces dernières années. La scène voit arriver un nouveau public peut-être moins au courant des rites traditionnels et ayant des valeurs très différentes des premiers groupes à succès. Des choses tolérées hier (groupies hyper sexualisées, tournées mondiales avec de nombreux déplacements en avion, pyrotechnie, consommation excessive d’alcool, usage de stupéfiants, gestes provocateurs) le sont peut-être moins, du moins par une partie du public.

Ceci étant dit, il faut constater que le metal transcende assez bien les clivages politiques, excepté certains groupes ou scènes spécifiques. Il me semble que le spectateur met de côté la politique à l’entrée du festival. Et même des groupes plus engagés que d’autres se gardent peut-être de polémiquer sur certains sujets pour ne pas se mettre à dos une partie du public. Les tournées sont de plus en plus chères et de plus en plus compliquées à organiser, ce qui rend les choses de plus en plus compliquées pour les groupes intermédiaires.

Le metal va donc devoir composer avec les nombreux défis qui attendent nos sociétés. Mais la planète metal a encore de beaux jours devant elle.


À voir

Exposition Metal, Diabolus in musica, jusqu’au 29 septembre 2024 à la Philarmonie de Paris


Sur le blog

«Heavy metal: quand le bruit se mondialise» (Renaud Duterme)


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