Les saint-bernards au pouvoir!

En Suisse, la tradition veut que les gouvernements cantonaux se prennent en photo en début de législature. Avec ses saint-bernards trop choux, la dernière photo officielle de l’exécutif du Valais fait parler d’elle. Et offre un bel exemple de mise en scène géographique du pouvoir.

Avec une altitude moyenne d’un peu plus de 2000 mètres, le Valais peut se targuer d’être le canton le plus haut de Suisse – à laquelle il a été rattaché en 1815, lointain effet de la bataille de Waterloo. Près de 350 000 personnes s’y concentrent surtout dans la vallée du Rhône, laissant le reste du territoire aux alpages, aux glaciers et aux stations de ski. On y élève des vaches, dont la fameuse race d’Hérens, qui fournit le fromage et la viande séchée qui l’accompagne. On y fait aussi pousser des vignes en veux-tu en voilà sur les rives nord du Rhône, plus des abricotiers sur les rares espaces ensoleillés côté sud.

Densités du Valais

Les densités contrastées du Valais (eAtlas du Valais: http://172.104.156.8/wp/)

 

Citadelle du Parti démocrate-chrétien

Autre particularité, et non des moindres, la longue domination politique de l’évêque de Sion explique l’enracinement du catholicisme dans le canton. Alors que la Berne protestante a converti par l’épée le voisin vaudois, elle a épargné les territoires reculés des Alpes valaisannes. On a pu, par conséquent, continuer à y brûler des sorcières en toute bonne conscience pendant quelques siècles.

Ce catholicisme historique a permis le règne quasi sans partage du Parti démocrate-chrétien (PDC), qui accapare les deux sièges de Conseillers aux États (les sénateurs) du Valais depuis 1857. Surtout implanté dans les cantons ayant échappé au prosélytisme armé de la Réforme, le PDC parvient, dans un pays où domine la droite xénophobe, à se faire passer pour centriste en dépit de son conservatisme assumé. Conservatisme d’autant plus manifeste dans sa branche valaisanne : il y a quelques jours, les trois députés PDC au Conseil national – la chambre basse de l’Assemblée fédérale – ont voté comme un seul homme contre le mariage pour tou.te.s, pendant que le « Oui » l’emportait à 67% dans l’hémicycle.

Mettre en scène le pouvoir

Logiquement, c’est donc un chef de gouvernement démocrate-chrétien que l’on voit au centre de la photo, Christophe Darbellay – dont la carrière politique a survécu, en 2016, à un scandale pas très catholique. Autour de lui, quatre autres ministres et, légèrement à l’écart, un chancelier, non élu.

Conseil d'État du Valais, 2020

La Conseil d’État valaisan en 2020 (c) Olivier Maire

La photo, c’est sa fonction, met en scène le pouvoir et la manière dont il se perçoit et veut qu’on le perçoive. La disposition des cinq ministres en demi-cercle, avec le président en clef de voûte, évoque au choix une formation militaire ou une solide architecture. Dans les deux cas, voilà un gouvernement prêt à faire front, comme le solide amphithéâtre romain derrière. Une vision du rôle de l’exécutif sans doute marquée par la crise du coronavirus : on est loin de la photo de 2019, qui faisait la part belle à la discussion et, suppose-t-on, au consensus, valeur cardinale de la politique helvétique.

Conseil d'État du Valais, 2019

Le Conseil d’État valaisan en juillet 2019 (c) Céline Ribordy

 

Il faut dire que le cliché a été pris en plein confinement. D’où, peut-être, le choix d’un cadre verdoyant et celui de laisser tomber la cravate, même si chemise blanche et veste bleue restent de rigueur pour les hommes.

Mais la symbolique du lieu ne se réduit pas à une dominante de vert. L’amphithéâtre de Martigny renvoie aux racines antiques du canton, conquis par Rome quelques années avant notre ère. C’est du sérieux. Et le lieu évoque aussi le Valais actuel et son attachement aux traditions : on y organise, lors de la foire de Martigny, des combats de reines, compétitions entre vaches d’Hérens à la forte charge identitaire.

Le monument fait partie des « lieux de condensation » cantonaux, dirait Bernard Debarbieux: il symbolise le territoire valaisan dans son ensemble, à la manière d’une synecdoque – le fait de signifier le tout par une de ses parties. Quiconque habite le canton reconnaît et se reconnaît dans cet amphithéâtre.

Géosymbole et territoire

La photo a donc une deuxième fonction: mettre en scène un territoire. Car le pouvoir moderne n’a de sens qu’en tant qu’il s’exerce sur un espace continu et délimité, dont il tire sa légitimité. Mais alors, l’amphithéâtre de Martigny suffit-il à symboliser le Valais et ses valeurs réelles ou supposées, dont le gouvernement se pense comme l’émanation et le garant?

Aux yeux de qui connaît un peu la Suisse, il manque un acteur géographique majeur. Les Alpes, visibles depuis 90% du territoire helvétique, occupant la totalité du Valais et déterminant en grande partie son économie, sont la synecdoque par excellence, le haut lieu servant de fondement identitaire au Valais plus encore qu’au reste de la Confédération.

C’est qu’ici, le véritable géosymbole, pour emprunter cette fois un terme à Joël Bonnemaison, n’est pas une construction humaine ni un ensemble géomorphologique: il se présente sous la forme de cinq saint-bernards, soit environ 450 kilos de muscles, de poils et de bave. S’il faut chercher sur cette photographie une concentration des valeurs et du paysage valaisans tels que le canton et son gouvernement se plaisent à la voir, l’amphithéâtre passe au second plan derrière les chiens. Courage et résistance face aux éléments, abnégation, confiance, mais aussi douceur et affection, tout y est.

Et puis un saint-bernard, c’est très « chou » comme on dit en Suisse romande. Et qu’y a-t-il de plus chou qu’un saint-bernard ? Un bébé saint-bernard, bien sûr. Commentateurs et commentatrices n’ont d’ailleurs pas manqué de faire remarquer que le seul chiot était blotti dans les bras de la seule femme membre de l’exécutif.

Chassez le naturel…


Sur le blog, d’autres articles sur la Suisse et ses géosymboles:

«Le Cervin, montagne magique pour soigner du Covid-19»

«Débauche vigneronne à Vevey»

«Les cornes du bien-être animal»

«Les cornes de l’identité suisse»


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