Un festival de films, c’est un peu comme une douzaine d’huîtres. On tombe parfois sur une perle, y compris quand on ne s’y attend plus trop. Au NIFFF (dont on a parlé ici, là, mais aussi là-bas) la perle a surgi de la Compétition internationale. Quand Wes Anderson rencontre Lewis Caroll et Charles Perrault, ça donne un merveilleux film sur l’adolescence, réalisé par l’Australienne Rosemary Myers. À la fois hors du temps et en phase avec l’époque, léger et sérieux, superficiel et profond, Fantastic Birthday (titre « français » pour Girl Asleep) est le coup de cœur neuchâtelois de LMDLO.
Greta vient de déménager et s’apprête à fêter ses quinze ans. Cernée par les belles idiotes de son nouveau collège, un père pas méchant mais lourdingue, une mère maltraitant son vélo d’appartement, et le petit copain bellâtre de sa grande-sœur, elle aimerait ne pas quitter un monde de l’enfance bien confortable et peuplé de souvenirs rassurants. Surtout, ses parents ont organisé, à son insu, une fête pour un anniversaire dont elle préfèrerait ne pas entendre parler. Comment faire face ?
Tout se joue dans le backyard
En Australie, tout ou presque se décide dans le backyard, à la fois espace privé et lieu de l’interaction sociale, où l’on invite les amis et les voisins à partager bières et grillades. La barrière de ce jardin familial sépare le familier du méconnu, l’ici domestique de l’ailleurs.
Rosemary Myers mobilise ici le fantastique pour faire de cette barrière la frontière vers un inconnu que va devoir explorer Greta pour accepter de grandir. Sans doute, les arbres sombres d’où vont surgir des créatures étranges mais vaguement familières figurent aussi bien l’inconscient de la jeune fille : difficile de ne pas penser, au passage, à Max et les maximonstres.
La métaphore spatiale rappelle une réalité simple mais décisive : l’adolescence est une rupture spatiale autant que temporelle, physiologique ou sociologique. Période de confusion, d’une transformation à la fois décisive et banale, profonde et imperceptible, elle passe par un changement de regard sur les individus et les lieux qui nous entourent, et les souvenirs qu’ils renferment.
Wes Anderson rencontre Lewis Caroll
Avec ses mélanges de jaune, de brun et de rouge, le grain de la photo, ce passage de l’autre côté du miroir évoque beaucoup Wes Anderson, quelque part entre le kitsch assumé, le second degré et la patine des souvenirs nostalgiques. Dans cette esthétique hors du temps, la légèreté camoufle un propos aussi intelligent que sérieux et, comme chez Anderson toujours, l’émotion émerge de cette tension. On ressort ravi et ému, en fredonnant Sylvester (mais si : remember).
Au passage, le film n’est pas si hors du temps que ça et prend le temps d’interroger ce que c’est d’être une adolescentE et de devoir – ou pas – jouer le rôle qui nous est assigné en tant que jeune femme. Le temps d’un échange de costumes, le film bouscule – doucement – les stéréotypes de genre.
Plein d’idées de mise en scène, intelligent et drôle, Girl Asleep n’a pas volé le Grand prix du jury du festival de Seattle. On lui souhaite de trouver le chemin des salles européennes, après une sortie australienne en septembre 2016.